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Source : cet interview a été réalisée et publiée par Thomas Cantaloup pour Mental Health Around the World
 
 
 Présentation :

 Didier Meillerand a 55 ans, il est le père de trois enfants auprès desquels il dit apprendre tous les jours. Animé par la curiosité de l’autre, être journaliste était pour lui une vocation. Il se décrit d’ailleurs plutôt comme un “passeur” dont le travail, au fil de ses nombreuses interviews, est de valoriser le propos au-delà de l’information, transmettre l’ADN de son interlocuteur, ses valeurs..

Il est également le fondateur du “Psychodon, Agir pour la santé mentale”, qui a pour vocation de mettre en relation les associations, les bénéficiaires et les mécènes dans le champ de la santé mentale. L’objectif est de les aider à se fédérer pour innover ensemble et travailler sur des projets et des initiatives locales remontant des territoires. Au-delà de ce travail de mise en réseau des acteurs, le Psychodon c’est surtout de la sensibilisation sur les sujets de la maladie psychique sur trois grands axes : la recherche, l’accompagnement des malades et des familles et la prévention sur les territoires. Pour ce faire, le Psychodon organise notamment chaque année la grande soirée de la maladie mentale sur la scène mythique de l’Olympia. L’occasion de briser des tabous et de célébrer la vie avec la maladie psychique.

A quel moment t’es-tu rendu compte que tu avais une santé mentale ? 

C’est une question complexe, car ça voudrait dire que je suis en capacité d’identifier le moment précis . Je crois qu’il nous faut être modeste avec nous-mêmes et la temporalité dans laquelle nous vivons. Je pense que la santé mentale m’a toujours concerné de façon psycho- généalogique . Dans la mesure où je suis né le jour de la mort de Marius, qui était le le frère de ma grand-mère et qui était schizophrène. Il y a eu une “trans-mission”, il m’a transmis une mission. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui je développe le Psychodon qui tente de déstigmatiser les maladies psychiques. Cet oncle Marius, c’était le fou du village, mais il n’empêche qu’il protégeait ma grand-mère de la brutalité de mon grand-père. J’étais prédisposé à créer un vecteur de sensibilisation.

  


Didier Meillerand devant son arbre de vie chez lui, Paris (France)

 
Si on devait tout de même identifier un moment précis, je pense à la journée de 1988 où je suis allé à l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Lyon où mon frère était hospitalisé. Son psychiatre m’a invité à aller le voir dans un atelier d’ergothérapie, où il travaillait du bois avec pleins d’autres personnes. Certains faisaient des statues, d’autres divers objets; et mon frère, il faisait une poire en bois.Ce jour-là, je me suis dit “Wow. Mon frère est à l’hôpital psychiatrique et il fait des poires en bois. Il doit être malade”.

Sur le chemin du retour, dans le métro, je me suis dit que je savais comment j’allais faire faire mes interviews désormais. Mon frère m’avait appris qu’une poire pouvait être en bois. Moi, je pensais que les poires étaient vertes, à cuire en compote, en tarte ou en eau de vie à la limite. Mais jamais je n’aurais imaginé qu’elles pouvaient être en bois. Mon frère m’a ouvert à une autre matière, sa différence est une richesse exceptionnelle. À chaque fois que je  fais des interviews, je vais  chercher l’autre dans une autre matière que celle avec laquelle il m’apparaît, car c’est le meilleur moyen de faire jaillir de l’information.

 Ce jour-là, je me suis dit “Wow. Mon frère est à l’hôpital psychiatrique et il fait des poires en bois. Il doit être malade”.

Ce jour-là, j’ai pris conscience que j’avais une santé mentale et que la maladie psychique de mon frère était une fragilité pour lui, pour notre famille, mais qu’en même temps, c’était une force exceptionnelle qui m’a permis d’être armé et de créer le Psychodon. Parce que je ne voulais plus entendre : “Vous venez manger le poulet dimanche ? Mais sans ton frère”. Il fallait changer les regards du plus grand nombre, faire l’Olympia et mettre la maladie psychique sous les feux de la rampe et les caméras de télévision, pour que chacun puisse se dire “j’ai tellement à en apprendre”.

« La poire en bois, l’ouvrage de Didier Meillerand sur son histoire personnelle et la schizophrénie.

 

Quelle est la chose que tu souhaiterais améliorer en France concernant la santé mentale ?

Dans le champ de la santé mentale en France, c’est la division qu’il faudrait faire changer. Pour le moment, les acteurs sont plutôt  divisés et centrés sur des singularités qui sont légitimes et indispensables. Simplement, elles ne sont qu’une part de la problématique des enjeux de déstigmatisation des maladies psychiques. Et tant que chacun sera centré sur sa singularité, nous ne serons pas fédérés. Là, c’est les familles, là c’est les médicaments, là c’est la dépression, là c’est la bipolarité, là c’est le travail et les personnes en situation de handicap psychique, etc. Il y a une dispersion globale alors que si nous étions  unis face aux maladies psychiques, nous serions  tous forts de nos singularités. Nous pourrions tous avancer dans le même sens au service de la cause, c’est-à -dire faire cause de la santé mentale pour que dons abondent.

 



















Le Psychodon, Olympia édition 2022. Crédit : Maud Bernos.

 

Quelle est ta solution pour résoudre ce problème ?

Pour se fédérer, il faut une stratégie de marque forte. Sur le modèle du Téléthon pour la myopathie et les maladies rares, ou du Sidaction pour le sida, pour que la santé mentale devienne une cause, il faut que chaque organisation passe au-dessus de son ego mais en restant forte de sa singularité dans son domaine. La marque Psychodon peut, avec les artistes, la télévision, les radios, et autres moyens de communication, embarquer les différents acteurs. Un peu comme une grosse locomotive qui va embarquer des wagons qui restent riches et légitimes de leur chargement précieux, les entraînant sur des rails de la déstigmatisation et de la médiatisation.

Le Psychodon a une promesse, faire cause de la santé mentale et, à 10 ans, que dons abondent. Nous avons des événements forts toute l’année qui sont là pour marquer. Tous les 10 octobre on publie le baromètre santé mentale et en particulier santé mentale au travail; le même jour nous organisons une soirée conviviale avec des humoristes, “les rires du Psychodon”. Tout au long de l’année, nous avons également des campagnes à la radio, à la télévision, sur les réseaux sociaux, etc. Nous diffusons des informations exploitables, des témoignages d’associations ou de patients pour contribuer à faire émerger une mobilisation citoyenne.

“Le Psychodon a une promesse, faire cause de la santé mentale et, à 10 ans, que dons abondent.”

Et, il y a le show à l’Olympia tous les ans, c’est l’événement PHARE. C’est unique au monde : le seul show à la télévision dédié à la santé mentale ! Chaque deuxième week-end de juin, les stars se mobilisent et chantent pour déstigmatiser les maladies psychiques. Ca parait paradoxal mais nous ne sommes pas dans le pathos, on n’associe pas forcément le Psychodon à la maladie. On parle aussi de santé mentale et majoritairement, on chante ! Car à l’Olympia en général, on y va pour aller faire la fête, pour entendre le chanteur dont on est fan, ou aller voir un show qui nous donne de la joie de vivre. Avec le Psychodon, ça a beau être en effet des maladies graves qui sont mises en avant, mais on essaie de d’y faire la fête quand même.Je pense que c’est la première fois où des associations très diverses et très variées sont vraiment, au même moment, ensembles, fédérées autour de la fête dans une salle mythique pour mettre en lumière les maladies psychiques.








Claudio Capéo, Didier Meillerand et Yannick Noah, parrain du Psychodon, Olympia édition 2022. Crédit : Maud Bernos.

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Quels sont tes plans pour le futur?

Ce que je peux vous dire, c’est que nous préparons un cinquième Olympia qui aura lieu en juin prochain et qui sera diffusé en direct sur la chaîne C8 grâce aux caméras du groupe Canal+.

Les rires du Psychodon vont quant à eux partir en tournée. Les humoristes vont de nouveau faire leur comedy club à Paris le 10 octobre, puis ils partiront se produire dans plusieurs villes à travers la France. Et puis pour 2023, il y aura une autre campagne très en lien avec l’actualité sportive et la santé physique. On va être très tourné vers le corps et la santé mentale.

Y-a-t-il une œuvre artistique, une personnalité inspirante, qui ont eu un impact positif sur ta santé mentale ?

Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est peut être Vincent Van Gogh, avec une œuvre qui s’appelle la nuit étoilée. J’étais très jeune, il faisait très froid, et quand j’ai vu ce tableau à Amsterdam, j’étais vraiment bien, j’étais au chaud dans un musée et j’ai vraiment été scotché par cette lumière en me disant que c’était tout à fait ce que je ressentais. Je savais que Vincent Van Gogh avait été hospitalisé en psychiatrie, et je me suis dit “Wow, un peu comme avec mon frère quoi ?”. Voilà quelqu’un qu’on a qualifié de fou, hospitalisé en psychiatrie, qui se coupe les oreilles, et qui est capable de peindre ça ?

Cette peinture est extraordinaire, le peintre nous envoie un message : il y a plus de couleurs la nuit que le jour, c’est vraiment une autre vision du monde. On peut faire le parallèle avec la maladie psychique d’ailleurs, la maladie psychique, ce n’est pas la nuit, ce n’est pas les ténèbres. La preuve, si mon frère ne m’avait pas montré sa maladie, si je n’avais pas eu la grâce de découvrir les personnes qui souffrent des maladies psychiques et leurs familles , il n’y aurait pas eu de psychodon, que sais je ?

On a des représentations, des croyances, mais en fait, il suffit juste de changer de vision et on s’aperçoit que la maladie psychique, les maladies mentales, c’est juste plein de couleurs qu’on ne voit pas parce qu’on est empreint de nos prismes, de nos croyances, de nos représentations. On regarde ne juste pas comme il le faut, c’est ce que m’a appris La nuit étoilée de Van Gogh.

« La nuit étoilée », Vincent Van Gogh, 1889.

Quel est le moyen le plus simple de te contacter (Linkedin, Twitter, Mail, etc.)?

Rendez-vous le 12 juin à l’Olympia avec le parrain du Psychodon, Yannick Noah et de nombreux artistes. Il y a bien sûr le site du Psychodon : www.psychodon.org. Vous pouvez vous abonner à notre newsletter pour rester au courant de l’actualité, ou nous contacter par mail ou via nos réseaux sociaux indiqués sur le site. Vous pouvez aussi m’envoyer un message sur LinkedIn

Interview par Thomas Cantaloup, le 12 décembre 2022

Crédits photo : Thomas Cantaloup