S’exprimant au Congrès de l’Encéphale le 20 janvier, le délégué ministériel à la Santé mentale et à la psychiatrie, Frank Bellivier, a dressé un état des lieux de la démographie des psychiatres, dans le contexte de « crise profonde d’attractivité » de la discipline et évoqué des pistes pour préparer l’avenir pour préparer une nouvelle génération de psychiatres, tout en répondant aux « urgences » du moment.
Etat des lieux
Sur le plan de la démographie, le Pr Bellivier communique des chiffres qui peuvent paraître « rassurants ». Ainsi, « la France n’est pas le plus mal placée parmi les pays développés en nombre de psychiatres par habitant » et la densités de psychiatres est « parmi les plus élevées d’Europe (20 psychiatres pour 100 000 habitants, dont 10 en exercice libéral ou mixte), ce qui la situe à la 4e place des 27 États de l’Union européenne », observe-t-il. En 2021, l’Observatoire nationale des professions de santé (ONDPS) comptabilise 15 500 psychiatres, dont 4500 libéraux exclusifs. Par ailleurs, le nombre total de psychiatres en France « n’a cessé de croître depuis les années 1980 » et diminue depuis 2016, la fin de cette décrue devant être effective en 2023.
La réalité est cependant préoccupante, car « l’offre ne correspond plus aux besoins ». Le Délégué a ainsi pointé que les professionnels sont très mal répartis sur le territoire, avec des densités qui varient de 1 à 4 entre les départements les moins bien dotés. La pédopsychiatrie est « une spécialité sinistrée ». En 10 ans, le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux et un dizaine de départements sont aujourd’hui « dépourvus de toute offre de pédopsychiatres libéraux ». Par ailleurs, on relève des évolutions démographiques inquiétantes, et notamment le vieillissement des professionnels non compensé par de nouvelles arrivées : en janvier 2021, l’âge moyens des psychiatres libéraux et salariés s’établissait à 52 ans . Pour les pédopsychiatres, la moyenne d’âge est de 63 ans pour les hommes et 61 ans pour les femmes.
Frank Bellivier précise que de 2010 à 2020, la progression du nombre de postes proposés toutes spécialités confondues est de 37% versus 29% pour le DES de psychiatrie. En moyenne, depuis 2010, 503 postes ont été ouverts par an et 483 postes ont été pourvus en psychiatrie. En cumulé, le nombre de postes non pourvus depuis 2010 est de 243, dont 63% en 2019 et 2022. Cependant, « les projections démographiques réalisées par le ministère de la Santé (DREES – 2021) prévoient une stabilisation du nombre de psychiatres jusqu’en 2025 avant un retour progressif la hausse jusqu’en 2040 ».
Des causes multifactorielles
Le Délégué a ensuite abordé les causes de difficultés, dont certaines s’inscrivent dans « l’ensemble de la crise actuelle de notre système de santé, de nos hôpitaux et de la démographie médicale » . Dans ce registre, il a cité l’épuisement des équipes, la faiblesse de l’articulation avec les soins de première ligne et le recours massif aux urgences, l’inadéquation de l’organisation de l’hôpital (faiblesse du service et gouvernance trop administrative contribuant à de une perte de sens pour les soignants), et les conditions financières et d’environnement de travail des professionnels.
Des « spécificités de la psychiatrie » donnent à cette crise une « acuité particulière » :
– la pression croissante de la demande, encore amplifiée par la crise Covid ;
– « une spécialité bien particulière, au carrefour de multiples disciplines » (neurobiologie, sociologie-anthropologie, imagerie cérébrale, psychologie, sciences cognitives, linguistique, physiologie cellulaire, philosophie…)
– et «qui génère des préjugés persistants ». La stigmatisation de la psychiatrie est parfois renforcée par un discours trop souvent « victimaire » de la discipline elle-même qui renvoie malgré elle une image répulsive aux jeunes générations de professionnels.
La perte de sens produit également des découragements et la psychiatrie se trouve confrontée à « des injonctions parfois contradictoires ». Ceci est particulièrement complexe dans le champ des soins sans consentement, « en augmentation », qui place les professionnels face aux « choix » de soigner les malades mentaux et/ou protéger la société. Les tâches sont aussi alourdies par les réformes (indispensables) encadrant les pratiques d’isolement-contention. Enfin, Frank Bellivier estime que la recherche en psychiatrie est « trop éclatée » et « a du mal à jouer son rôle de locomotive de la spécialité ».
Préparer l’avenir
Dans ce contexte, préparer l’avenir passe par « la formation renforcée de nouvelles générations de psychiatres », avec notamment l’augmentation du nombre d’hospitalo-universitaires, et le soutien des coopérations CHU/EPSM pour diversifier les terrains de stages, mieux encadrer les stagiaires, développer des collaborations de recherche…
Le Délégué a cependant indiqué qu’« un principe de réalité doit guider des réponses immédiates, territorialisées et structurées à l’urgence de la situation ». Certaines participent « de l’amélioration globale du système de santé », et F. Bellivier a renvoyé aux «orientations fixées par le Président de la République aux professionnels de la santé lors de ses vœux du 6 janvier » et aux « conclusions attendues du Conseil national de refondation (CNR) santé ».
D’autres « relèvent d’une approche globale et replacent la psychiatrie et ses professionnels dans une approche structurée et articulée avec les autres acteurs des territoires intervenant dans le champ de la santé mentale ».
Des mesures pour une approche globale • Eviter l’embolisation de l’offre de soins spécialisée en psychiatrie par : – Le renforcement de la prévention en santé mentale ; – Le renforcement des 1ères lignes (intérêt du dispositif MonParcoursPsy) et création envisagée d’une « spécialisation » de « psychologue en santé » – Soutien massif aux dispositifs ambulatoires de prévention du recours à l’hospitalisation (FIOP, PEA, PTSM) • Rationaliser l’offre spécialisée par une meilleure organisation des tâches – Le développement de la délégation de tâches, via notamment le renforcement de la création et de la mobilisation des Infirmiers en pratique avancée (IPA) : au total et depuis 2019, 171 IPA ont été diplômés en santé mentale et 385 sont attendus en formation sur la période 2021-2023, dont 270 déjà financés en 2022. – L’encadrement des nouveaux métiers et de leur articulation : développement et encadrement de la fonction de médiateur de santé pair professionnel, case manager, de jobcoach… • Impliquer la jeune génération de médecins • Soutenir la participation des usagers et des familles
• Avenir et démographie : la sortie du désert, intervention de F. Bellivier, congrès de l’Encéphale, 2023.