Des milliards de personnes à travers le monde ont vu leurs vies bouleversées par la Covid-19. En un clin d’œil, la pandémie a modifié l’essentiel de ce qui fait notre mode de vie, notre forme d’existence, notre culture.
Bien que restant chez nous, nous nous sommes retrouvés plongés dans une culture nouvelle, avec son étrangeté et ses incertitudes. Cette situation présente de nombreuses analogies avec celle des migrants dont les capacités d’adaptation psychologique sont mises à rude épreuve – d’autant plus lorsque leur immigration est involontaire, car seul recours.
Dans un tel contexte, il s’agit alors de gérer la perte de son monde habituel, et de faire face au défi que constitue l’ajout d’une nouvelle culture à celle d’origine – un processus que l’on qualifie d’acculturation psychologique.
La culture : un modèle de gestion du stress
En psychologie, la culture est considérée sous deux formes : l’une, extériorisée et visible, comprend les coutumes, l’habillement, l’alimentation, les modes de vie, les institutions, etc. ; l’autre, intériorisée et invisible, englobe les valeurs, les normes, les modes de pensée , les présomptions et les orientations réglementaires.
Tous ces éléments sont intégrés très tôt, dans la petite enfance, et facilitent la gestion du stress quotidien . Et de fait, on considère que l’éducation des membres d’une même nation oriente leur adaptation psychologique aux facteurs de stress, et les aide à choisir des stratégies efficaces.
Le stress est une réaction physiologique normale à une situation vécue comme dangereuse. L’individu mobilise alors ses ressources pour y répondre d’une manière satisfaisante. Notamment par des stratégies d’ajustement dites de « coping » (qui signifie « faire face à »), et désignant tous les efforts cognitifs et comportementaux que l’individu peut déployer face à « des demandes internes et/ou externes spécifiques, évaluées comme très fortes et dépassant ses ressources adaptatives ».
Les effets délétères d’un stress d’acculturation
En voulant s’adapter à une nouvelle culture, l’individu est soumis à un stress d’acculturation. Il est en effet amené à remettre en cause les valeurs, les normes, les modes de pensée de sa propre culture. Et d’un point de vue psychologique, ce réexamen peut être lourd de conséquences, avec des problèmes de santé mentale (confusion, dépression, angoisse…) et le risque d’aliénation (au sens de la dépersonnalisation).
D’un autre côté, le processus d’ajustement à une nouvelle culture perturbe l’identité de l’individu, le sentiment de sa propre valeur et celui de vivre dans un environnement sécurisant. Cela génère également des conflits internes et des troubles psychologiques. Et l’on peut sans nul doute chercher à les rapprocher des impacts de la pandémie de Covid-19.
D’après les données publiées à ce jour, la crise sanitaire que nous traversons donne lieu d’une part à des changements de comportement dangereux pour la santé mentale comme pour la société, et d’autre part à divers troubles psychiques. Les premiers peuvent s’apparenter à des stratégies spontanées de « coping » (stratégies d’adaptation), en réponse aux mesures prises pour lutter contre la Covid-19.
Face à cette situation inédite, on note en effet une diminution des capacités de régulation émotionnelle : cela se traduit notamment par une augmentation de la violence familiale, des phénomènes de burnout parental ayant des conséquences sur la maltraitance des enfants, une montée du racisme et de la xénophobie.
D’autres troubles du comportement sont également à la hausse : les addictions (y compris aux jeux vidéo), les troubles du sommeil , les troubles alimentaires et le décrochage scolaire. Et s’agissant des valeurs et des normes, c’est-à-dire de la culture invisible et intériorisée, force est de constater un renforcement des théories de complot et des nouvelles croyances, ou encore une perte de confiance dans les sciences.
Quel impact sur le long terme ?
Sur le long terme, les conséquences psychologiques de l’acculturation induite par la Covid-19 ne sont pas encore connues. Reste qu’elles ne sont pas sans évoquer ce qui a déjà été observé dans d’autres situations d’acculturation.
Nombre d’études ont mis en avant la détérioration de la santé mentale des populations affectées par la Covid-19, avec des taux élevés de stress post-traumatique, mais aussi d’anxiété et de dépression, chez les adultes comme chez les enfants et les adolescents. Et les chiffres révèlent un phénomène mondial, où la seule fragilité individuelle ne peut pas être invoquée.
Le cadre théorique de l’acculturation offre de nouvelles manières d’appréhender ces problèmes de santé, en s’intéressant aux facteurs connus pour intervenir en tant que modérateurs du processus. Il s’agit notamment de facteurs individuels tels que l’expérience avec d’autres cultures, le sexe, l’âge, le niveau d’instruction, l’état civil (en couple, célibataire…), le travail, le rôle dans la profession, etc. Mais aussi, de facteurs environnementaux c’est-à-dire des conditions de vie : pollution, sécurité, logement, commodités, loisirs et services de soins à proximité, espaces verts…
Tout comme ils interviennent lors de l’immigration et de l’adoption d’une nouvelle culture, ces facteurs peuvent moduler la capacité de s’adapter aux changements induits par la pandémie de Covid-19. Et les ayant en tête, on pourrait sans doute mieux cibler les actions de prévention.
Des outils pour anticiper
Dans les situations classiques d’acculturation, la recherche en psychologie interculturelle a d’ores et déjà suggéré quelques pistes pour faire face au stress. Et d’après une méta-analyse publiée voilà huit ans, l’acceptation d’une nouvelle situation culturelle et son intégration à la culture d’origine constituent les meilleures stratégies pour éviter la persistance du stress et sa transformation en troubles mentaux.
Pour le psychologue Urie Bronfenbrenner, c’est l’écosystème (famille, école, institutions, quartier) dans lequel évolue chacun tout au long de la vie qui assure un bien-être psychologique, dans une continuité socioculturelle. Et l’on peut considérer qu’en le perturbant, la pandémie de Covid-19 a contribué à l’apparition d’un stress à tous les niveaux. Autrement dit, on peut imaginer intervenir en rétablissant les liens entre les divers composants de l’écosystème : les enfants ayant le plus de connaissances sur la pandémie semblent du reste avoir moins de problèmes psychologiques.
Enfin, il y aurait tout intérêt à s’inspirer des dernières recherches sur les compétences interculturelles, qui recouvrent notamment la compréhension et la prise de conscience de sa propre culture par rapport à d’autres, mais aussi l’ouverture, la flexibilité et la tolérance vis-à-vis des différences.
De nombreuses méthodes permettent d’améliorer ces compétences : en poussant à éviter les jugements hâtifs, en renforçant l’ouverture d’esprit, en développant les capacités d’autorégulation, etc. Et ce faisant, il devrait être possible de mieux s’adapter à la situation inédite que nous vivons, avec des stratégies de « coping » adéquates : ceci permettrait d’éviter que le stress d’acculturation ne génère des troubles mentaux, en ouvrant les chemins de la résilience.
Annamaria Lammel, Maître de conférences en psychologie à l’université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, directrice de l’e-laboratoire « Climate system and human system interaction », UNESCO
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.